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Clara Arnaud, nouvelle titulaire du Prix littéraire des étudiants de Sciences Po

par Anna Couthures Idrizi le 2024-05-03T15:14:00+02:00 dans Humanités | 0 Commentaires

 

Crédit : Caroline Maufroid / Sciences Po

 

 

L'Association du Prix littéraire des étudiants de Sciences Po a remis ce prix à Clara Arnaud, pour l'ouvrage Et vous passerez comme des vents fous, publié chez Actes Sud.

A l'occasion de cet événement, nous vous proposons de découvrir un entretien, mené avec l'auteure fin avril 2024.

Bonne lecture !

 

 

 

 

 

 

Merci de vous présenter en quelques lignes

Je suis l’autrice de cinq livres, récits de voyage et romans, publiés depuis 2010 chez Gaïa et Actes Sud désormais. Je suis aussi consultante dans le domaine de la coopération internationale, je travaille sur l’éducation et la jeunesse depuis 2011. Ma base de vie est en Ariège même si je suis en déplacement régulier, en France et à l’étranger parfois.  

 

Quel a été le déclic qui vous a décidée à écrire pour publier, pour être lue ?

J’ai commencé à écrire en voyage, sur la route, pour « faire quelque chose » d’une somme expériences de solitude, de beauté, d’adversité, d’altérité, vécues très jeune et seule sur la route avec les chevaux. C’était un processus cathartique. Un dialogue avec moi-même, au départ. Écrire c’était nécessaire. En revanche, je n’ai pas décidé d’être publiée. Mon parcours est assez singulier dans ce milieu. J’avais écrit un long « rapport de voyage », quelque chose entre l’essai littéraire et le récit de voyage, que j’avais remis au retour d’un long périple en Chine au jury de l’association Zellidja. Celle-ci m’avait octroyé une première bourse de voyage l’année de mes 19 ans pour partir en immersion auprès des bergers kirghize, puis en 2008 pour réaliser à 21 ans une traversée équestre de l’Ouest chinois (Xinjiang, Qinghai, soit le nord Tibet, Yunnan). Ce rapport a été envoyé tel quel, coquilles incluses, par un membre du jury, Yves Nayrolles, aujourd’hui décédé et auquel je dois beaucoup, à la maison d’édition Gaïa. J’ai reçu une proposition de contrat d’édition dans les spams de mes mails, que j’ai découverte un mois plus tard…À l’époque j’étais étudiante en master de géopolitique. Mon premier livre a été publié ainsi. J’ai fait le tour de la France avec ce premier récit, alors encore étudiante. J’ai découvert la joie d’être lu, de partager plus largement qu’auprès des quelques personnes auxquelles je destinais mes écrits. J’ai rencontré de « vrais écrivains », le premier fut Luc Lang (prix Médicis pour La Tentation). Cela a rendu tangible l’activité d’écrire, qui me faisait rêver tout en me paraissant hors de portée. J’ai eu de la chance, je m’en suis emparée et je n’ai cessé d’écrire depuis.

 

Comment choisissez-vous vos sujets d’écriture, procédez-vous à des recherches documentaires afin d’accompagner le processus de création ?

S’agissant des récits de voyage, le fil narratif est évident et chronologique, mais ce n’est plus une forme littéraire qui m’intéresse vraiment. Ou bien il faut la sublimer, à la façon de Nicolas Bouvier, et n’est pas à la portée de tout le monde. Pour les romans, c’est autre chose, il y a un travail gigantesque autour de chacun d’entre eux. Je ne dirais pas que je choisis mes sujets d’écriture, c’est souvent une somme d’obsessions, un entremêlement de questions, qui constituent l’ébauche d’une idée romanesque. Je ne me dis jamais « je vais traiter ce sujet ». Je ne traite pas de sujet, d’ailleurs, j’écris à partir d’un territoire. Les fils de questions et d’intuitions ont besoin d’un territoire pour se matérialiser dans un roman. Pour le premier ce fut la ville de Kinshasa, personnage principal du roman, pour le second, une vallée mésoaméricaine inspirée du Honduras, pour le troisième une partie de l’Ariège appelée Couserans. Une fois que le lieu et les obsessions se rencontrent, que des personnages surgissent, qu’une vague trame s’esquisse, je peux me lancer. Et alors je procède de manière concomitante aux recherches documentaires, au travail de terrain et à l’écriture. Je travaille aussi bien à partir de documentation (aussi bien scientifique, littéraire, technique que graphique), que d’entretiens, mais aussi et surtout de longues phases d’immersion, auprès de corps de métiers, sur des terrains et dans des territoires, une forme d’observation, tantôt participante, tantôt à distance, qui emprunte beaucoup je pense à la méthode anthropologique. Ou à une certaine forme de journalisme gonzo ou d’investigation. Je fais un travail documentaire minutieux pour tous les aspects techniques, car mes textes sont assez naturalistes. Mais cela doit être mis au service de la narration et de la littérature. Un roman n’est pas un essai ou un document pédagogique. La somme des recherches doit finir par s’effacer, être suffisamment digérée, métabolisée dans les personnages et les histoires pour permettre une lecture fluide.

 

Avez-vous des moments, des lieux ou des supports de prédilection pour écrire ?

J’écris plus volontiers le matin, mais durant des années, je n’ai pu le faire que le soir, pour cause de double activité. Je travaille aussi bien à la main – pour la prise de notes notamment, cela permet d’être dans une bulle – que sur clavier pour la rédaction du texte à proprement dit. Chaque livre a son cahier, que je remplis généralement, dans lequel on trouve des notes, des bouts de chapitres rédigés sur le vif, des références, des dessins, etc. J’ai besoin d’être seule pour écrire, parfaitement seule. Et dans le silence, ou bien environnée des bruits de la nature. Je ne fais pas du tout partie de ces auteurs qui disent écrire au café ou au milieu de la cuisine, cela m’est impossible.

 

Le nature writing s’est importé dans le monde francophone ces dernières années, avec de nombreuses voix féminines, tout particulièrement québécoises : comment vous positionnez-vous vis-à-vis de ce genre littéraire ?

J’ai l’impression d’écrire un peu à la marge de ce courant. Il s’agit en partie d’une littérature, largement américaine, qui raconte l’homme plongé dans une nature qui lui serait antagoniste, un sauvage absolu. J’adore certains de ces textes, mais ils ne reflètent pas la vision que j’ai du monde. Je ne vois pas la nature comme quelque chose qui nous serait étranger. J’étais en classe prépa en 2005, l’année de publication de Par-delà nature et culture de Descola, qui m’a profondément marquée. Je suis de cette génération qui essaie d’écrire la nature en nous, nous dans la nature, de trouver une nouvelle manière de raconter l’enchâssement des vies humaines et non humaines, de rendre compte des milieux dans leurs réalités biologiques et non d’une nature-paysage, réduite au décor des actions humaines. Qui tente de mettre en scène, aussi, les bêtes, les plantes, les rivières, les montagnes, leur donner un protagonisme. Donc on pourrait dire que oui, je m’inscris dans cette veine littéraire, assez largement portée par des femmes, qui prolonge ce genre qu’est le « nature-writing » tout en en « tordant » un peu les codes (Anni Kutomaki en Finlande, Audrée Wilhelmy et Gabrielle Filteau-Chiba au Québec, Claudi Hunzinger, Nastassja Martin, ou plus récemment Lune Vullemin, en France, pour ne citer qu’elles). Je trouve cela très vivifiant, quand on sent que comme chez ces autrices, il ne s’agit pas d’un effet de mode mais d’une démarche intègre, nourrie d’expériences denses et intimes. Et c’est aussi une littérature qui repense les antagonismes corps-esprit, nature-culture, homme-femme, fait bouger des lignes.  J’ai l’impression d’avoir toujours écrit de la sorte, mon premier récit était un véritable dialogue entre des territoires (déserts, plateaux), des bêtes sauvages, mes chevaux, et moi. J’ai grandi avec des animaux, j’ai toujours senti que je vivais entourée de pleins d’autres formes de vie et c’est omniprésent dans mes textes. Même mon premier roman, le seul qui soit urbain, s’appelle L’Orage, ce n’est pas un hasard. Il convoque fortement les éléments (la pluie, le tonnerre), met en scène ce fleuve-colosse qui borde Kinshasa. Il est peuplé de figures animales aussi.  J’ai donc l’impression que soudain, pleins de voix s’élèvent, parmi lesquelles je me retrouve alors que je me suis sentie longtemps seule. C’est réconfortant. Et cela répond aux préoccupations des lecteurs. Je crois que cela explique d’ailleurs en partie le succès inattendu de mon dernier roman.

 

Vous pouvez retrouver à la bibliothèque les principaux romans publiés par l'auteure


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Dernière mise à jour: Jun 21, 2024 8:59 AM